“Navigation en articulture post-arctique”

Les acteurs ici mis en toile font des gestes qui ne sont pas ceux que l'on voudrait croire (voir). Ils en simulent un pour en faire d'autres, ils changent de mouvement comme de cadre, ils se cachent le visage dans les failles, prennent des panoplies qui ne sont pas les leurs. Ils trichent. C'est le stratagème d'une simulation destinée à déjouer l'adversaire. Ils peuvent même s'approprier les éléments disparates de diverses panoplies. Car le regard, dérouté par la machinerie qui anime la surface, ne détecte pas les détails de la machination spatiale disloquée et disloquante. De fait, cet acteur a besoin lui-même d'attributs multiples et d'un attirail diversifié. Car il faut qu'il dispose des armes propres à déjouer les mécanismes qu'il utilise, pour ne pas se prendre lui-même au piège de la simulation.

Délégués en cet espace par le peintre-opérateur, ils seront ses agents provocateurs, lorsque dans le temps d'une élaboration provisoire apparaitront les indices d'image qui font unicité spatio-temporelle et début d'émission sémiotique, repères de la perspective, de référence narrative, esthétiques et autres polices. Représentants d'une affirmation provisoire ils provoqueront la question et par là-même, le premier instrument de sabotage. Programmation-information, dans le schéma émetteur - récepteur, les saboteurs jouent sur le clavier les touches du court-circuit et de l'interférence. Ainsi l'espace mental lutte-t-il contre ses envahisseurs jusqu'au démantèlement - DEFIGURE.
Brouillage. On tâtonne, on ne peut plus revenir en arrière.
Que reste-t -il ?

La réalité comme corps, la toile comme revêtement du chassis portemanteau, support de représentation du corps porte-mesure. Nos corps bariolés de tatouages en cartographie sont lieux d'affichage privilégiés où l'indélébile stratégie le débile. Faire avec squelette, muscles et organes, faire avec peau, en naufrageurs. Déshabiller l'habitude, en débâcle.

L'espace-monstre

Il se donne à voir, en affront de la représentation et de la perspective. Il n'a pas le droit de revendiquer ses origines. Inculte, l'espace-monstre est voué au célibat, car l'Autre, l'espace-norme social à structure symétrique, le regarde comme une morphopsychose. Hors échelle et hors symétrie. Pour voir de quoi il en retourne, ils (les provocateurs-simulateurs) tentent d'ajuster à cet espace, un appareillage structurel, «prothétique». Tout ce qui retient cet espace est prothèse ou lien, test de l'espace-monstre, pour lequel tout objet se transforme en prothèse (écrans, carrosseries, appareils de la vision, genouillère, etc.) C'est alors que le vide se gonfle et prend forme entre les structures par la nécessité de réponse au plein prothétique, qui tente la rectitude. Il doit y avoir violence. Symétrique, la prothèse se disjoint, elle éclate. L'espace-monstre, pour exister sans restriction, a fait éclater la camisole de force. ENVERGURES.
Décharge énergétique de l'opérateur en sa propre projection; d'où il tirera son souffle. Ainsi, il vainc la prothèse première, à savoir celle de la toile, le châssis, sur la rectitude duquel se geste la révolte.
La stratégie a détourné l'appareil répressif en machine contre l'état de fait qui désigne le monstre, du regard qui désigne le monde.
La machine de guerre vise au regard, pour le rendre polymorphe.

Il y aura virement de bord en ces toiles tendues-là, il y aura tropisme en bordure des sens. Sur ce châssis entoilé, les plans basculent toiles sur toiles, les uns par-dessus les autres, pour en faire la surface glisser, pour en faire craquer la carcasse, en cette navigation fantomatique. L'écran s'y déchire avec des chuintements pour faire apparaître son double. Mais ce hollandais volant n'existe que grâce à son naufrage premier et tous ceux qui lui succèdent, en sont la simulation dans l'espoir insensé de comprendre son événement. On n'arrive pas à détecter le premier bruit qui aurait permis le diagnostic, on met des écouteurs, on décuple son écoute, mais on est assourdit, abasourdit, trop de bruit, “absurditum”, rien à comprendre... On a sombré un jour sous la troisième dimension, puis on est remonté en surface, condamné à faire craquer le châssis en une survie sans avenir. La répétition s'ensuit de la représentation, en inversion de l'événement scénique. Nostalgie des somptueux renversements, des superbes naufrâââges klinesqes, et autres tempêtes du siècle. Il ne nous reste que la météo, mais elle est inutile à ce type de navigation spectrale. Cependant cet équilibrisme ne se vit pas sans tension, il y trouve sa survie. Sur sa planche, le naufragé navigue avec sa dépouille. Nomme-t-on cela art corporel, happening, performance ?
Mise en spectacle dérisoire sur scène à bascule: Titre: “Artiste-Peintre soufflant sur les toiles pour faire énergie, ...en attendant le vent de l'histoire... ”

Texte extrait de “Navigation en articulture post-arctique” Christine Gaussot (Pidgin and co. )